Le campus Victoire, monument historique de l’Université de Bordeaux
On y apprend aujourd’hui les Sciences de l’Homme, mais, à l’origine, ce sont les étudiants en Médecine et Pharmacie qui fréquentaient la faculté. Le campus Victoire est un des premiers édifices de l’Université de Bordeaux, un monument dans le paysage bordelais.
Pour son histoire et son architecture, la visite vaut le détour… Et le grand public est le bienvenu. Il s’y trouve aussi, au premier étage, une des plus belles bibliothèques universitaires de la ville.
Le reportage débute par un bref contexte historique sur l’Université de Bordeaux. Puis, à partir de la section « Le campus Victoire, patrimoine du XIXe siècle et monument historique », j’évoque quelques points architecturaux et surtout la visite du campus.
Campus victoire de l’université de bordeaux
Visiter des bibliothèques peut aussi être synonyme d’anecdotes cocasses…
La jambe de Sarah Bernhardt perdue et retrouvée
C’est l’histoire de l’actrice Sarah Bernhardt, du laboratoire d’anatomie du campus de la Victoire et d’un récipient égaré de formol…
Cette anecdote est évoquée dans l’ouvrage de Philippe Prévôt et Richard Zéboulon, « Bordeaux secret et insolite » et dans l’édition du 28 décembre 2008 du quotidien Sud-Ouest.
En mars 1915, Sarah Bernhardt, atteinte d’une tuberculose au genou, doit se fait amputer la jambe droite à Bordeaux. Après l’opération, le membre est conservé, parmi d’autres « souvenirs » anatomiques, à l’Institut Médico-Légal de la faculté de Médecine. Lors du déménagement à Carreire, la jambe est malencontreusement égarée. Pendant huit ans. Le 28 décembre 2008, le quotidien Sud-Ouest annonce allègrement que Jean-Georges Duthoit, responsable des bâtiments à la faculté de Bordeaux II, a enfin remis la main sur la jambe de l’actrice…
Dates clés dans l’histoire de l’Université de Bordeaux
• Dès le IVe siècle, Bordeaux fonde un « auditorium » pour y enseigner la grammaire et la rhétorique. Le célèbre poète Ausone, grande figure de l’Antiquité bordelaise, est l’un des professeurs.
• À la fin de la période Antique, l’Église reprend la transmission de l’enseignement.
• 07/06/1441 : La bulle du Pape Eugène IV répond à la demande de l’archevêque Pey-Berland : fonder à Bordeaux, un « studium generale ». Y seront enseignés l’Art, le Droit, la Théologie et la Médecine. Pey-Berland ouvre le Collège Saint-Raphaël pour les écoliers en difficulté financière.
• 1624 : naissance du « Collège de la Médecine ».
• 1793 : avec la Convention, disparait l’Université de Bordeaux.
• 1806 : à Paris, rétablissement de l’Université sous Napoléon 1ᵉʳ.
À Bordeaux :
• 1808 : rétablissement de la faculté de Théologie.
• 1838 : création de la faculté de Lettres et de Sciences.
• 1870 : création de la faculté de Droit.
• 1874 : l’École de Médecine et de Pharmacie – fondée en 1829 – devient la faculté mixte de Médecine et de Pharmacie.
19ᵉ siècle à Bordeaux : concentration de savoir avec la construction de trois palais des facultés dans le quartier Pey-Berland
→ 1874 : à l’angle de la place Pey-Berland et de la rue Cabirol, l’architecte Charles Burguet édifie la faculté de Droit. Le premier étage est dédié à l’amphithéâtre où sont animés les cours magistraux. L’architecture du bâtiment s’intègre à celle de ses voisins.
→ 1886 : l’architecte Charles Durant se charge de la faculté des Lettres et des Sciences, l’actuel Musée d’Aquitaine. Y est installé le premier musée archéologique universitaire français (aujourd’hui disparu). Le bas-relief de la façade représente – entre autres – une allégorie de la ville de Bordeaux accueillant les futurs étudiants.
→ 1888 : place de la Victoire, l’architecte Jean-Louis Pascal érige la faculté mixte de Médecine et de Pharmacie. Plus d’infos un peu plus bas.
• 10 juillet 1896, la loi forme les Universités. À Bordeaux, les quatre facultés, Droit – Médecine – Sciences – Lettres, constituent un corps universitaire.
• Avec la loi Faure du 12/11/1968, instauration d’Unités d’Enseignements et de Recherche (les UFR aujourd’hui).
L’Université de Bordeaux se structure avec la formation de quatre universités et la création d’un domaine universitaire à Pessac et Talence qui, au fil du temps, devient :
– Bordeaux I (Sciences et Technologies) ;
– Bordeaux II Victor Ségalen (Sciences de la vie, Sciences de l’Homme, Sciences de la Terre) ;
– Bordeaux III Michel de Montaigne (Lettres et Sciences humaines) ;
– Bordeaux IV Montesquieu (Droit, Sciences sociales et politiques, Sciences économiques et de gestion).
• 2014 : fusion des universités Bordeaux I, II et IV.
campus victoire : Histoire de la faculté de Médecine et de Pharmacie
• 25/02/1876 : décision de déménager la faculté de Médecine. L’architecte Jean-Louis Pascal est retenu pour le projet.
• 12/5/1880 : début des travaux.
• 28/4/1888 : inauguration de la faculté par le président de la République, Sadie Carnot. La scène est immortalisée par un tableau d’Édouard Dantan (1848-1897).
• Agrandissement du site après la Première Guerre mondiale.
• 30/12/1958 : avec l’instauration de la loi Debré, les facultés de Médecine intègrent les hôpitaux.
• 1972 : déménagement de la faculté de Médecine pour le site Carreire, adresse du tripode de l’hôpital Pellegrin.
• 1993 : la Pharmacie rejoint Carreire.
• Le campus de la Victoire enseigne les Sciences de l’Homme, soit la psychologie, la sociologie, l’ethnologie, les sciences de l’éducation et de la formation…
campus Victoire, patrimoine du 20ᵉ siècle et monument historique
Le Parisien, Jean-Louis Pascal, fut, pendant presque quarante ans, l’architecte de la bibliothèque nationale. Pour le campus de la Victoire, il adapte ses plans à la forme trapézoïdale de la parcelle. Répondre à la vocation du lieu nécessite de veiller à l’hygiène du bâtiment, des salles et des pavillons. Il faut y faire pénétrer la lumière, s’assurer d’une bonne ventilation, du bon écoulement des eaux…
Architecture de l’édifice : à ne pas manquer
- La façade, à quelques pas de la place de la Victoire, est ponctuée de colonnes ioniques.
En 1893, deux statues en marbre encadrent l’édifice : la Nature se dévoilant à la Science. Le sculpteur Louis-Ernest Barrias (1841-1905) réalise la Nature tandis que Pierre-Jules Cavelier (1814-1896) imagine la Science.
Plus haut, des bustes en hermès de « grands hommes de la Science » tels l’anatomiste Bichat, le médecin Laennec (inventeur du stéthoscope) ou encore le chirurgien Dupuytrense se succèdent.
- Dans le vestibule, le sol en mosaïque est l’œuvre du Vénitien Giandomenico Facchina (1826-1903), mosaïste de l’Opéra Garnier.
À noter inscrite au sol, la devise « Pro Scientia, Urbe et Patria » (Pour la Science, la Ville et la Patrie).
- L’escalier d’honneur menant à la bibliothèque.
- L’atrium, la cour intérieure.
Autour de celle-ci, quatorze médaillons – représentant d’illustres médecins et chirurgiens tels Elie Gintrac, ancien président de la faculté – ont été placés. De part et d’autre de l’atrium se trouvent deux amphithéâtres dédiés aux cours théoriques et de démonstration. Les gradins de ce dernier, très pentus, sont pratiquement verticaux afin d’observer correctement les examens des corps.
Pour honorer la mémoire des élèves et anciens élèves tombés pour la France, la cour accueille, en décembre 1921, un monument aux morts réalisé par le statuaire Paul Landowski. Il fut inauguré par Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts de l’époque.
La bibliothèque du campus Victoire
L’âme historique de ce lieu ainsi que son atmosphère studieuse et feutrée en font un lieu de découverte unique à Bordeaux.
À découvrir lors de la visite
Au premier étage, passer la porte pour rejoindre l’accueil. Puis, prendre à droite pour pénétrer dans l’ancienne salle des professeurs. Ici, derrière une vitrine sont exposés d’anciens instruments de médecine tels un stéthoscope en bois et des objets comme la clé d’une armoire où quelques livres furent cachés des yeux des Allemands…
Le couloir mène ensuite à la salle réservée aux étudiants. Au plafond, des moulures rendent hommage à la ville de Bordeaux.
Les collections patrimoniales de l’Université de Bordeaux
40 000 livres rares, précieux, antérieurs à 1830, 100 000 ouvrages imprimés entre 1830 et 1945, 445 000 documents…
Les fonds remarquables – datant de 1460 et 1830 – provenant de l’Université de Bordeaux sont aujourd’hui conservés à la bibliothèque universitaire Droit-Lettres de Pessac. Sous réserve d’une inscription à la bibliothèque, possibilité de consulter les ouvrages sur rendez-vous ; en ligne grâce à la bibliothèque numérique, Babord-Num ou de faire une demande de numérisation.
Dans cet article, le conservateur Romain Wenz, présente quelques-uns des trésors détenus.
Bible latine illustrée de Robert Estienne (1532)
« Don d’Elie Gintrac (1791-1877) médecin bordelais ayant œuvré à la création de la Faculté de médecine. »
© Université de Bordeaux
Nicolai Copernici Torinensis De revolutionibus orbium cœlestium, libri VI. (parchemin – 1543).
« Un exemplaire rarissime, décisif pour l’histoire des sciences, qui établit le fonctionnement du système solaire et montre pour la première fois que le Terre, et donc l’humanité, n’est pas au centre de l’Univers. »
© Université de Bordeaux
Gustave Eiffel, La tour de trois cents mètres (1900)
« Ouvrage offert à l’université de Bordeaux et dédicacé par Gustave Eiffel, peu après l’ouverture de l’observatoire de Floirac. »
© Université de Bordeaux
Université de Bordeaux : le 1% artistique
Depuis 1951, les constructions publiques ont pour obligation de consacrer 1% de leur budget travaux à la commande d’une œuvre artistique. L’idée est ainsi de soutenir l’art contemporain et « d’enrichir le patrimoine artistique ». Peinture, sculpture, tapisserie, mosaïque… les créations artistiques se multiplient. Voici quelques exemples situés sur les différents sites de l’Université de Bordeaux :
- Campus Bordeaux Carreire, 1973 : « Hommage à Brancusi », sculpture Di Camargo Sergio (1930-1990).
- Campus de Pessac, 1968 : tapisserie de Michel Seuphor (1901-1999) ; 1969 : « Jet d’eau pétrifié » de Yasuo Mizui (1925-2008).
- Campus de Talence, 1950 : portail Peixotto de Raymond Subes (1891-1970).
Découvre d’autres œuvres d’art en jouant aux « curieuses visites » proposées sur le site internet de l’Université.
L’univers des bibliothèques
Un peu de vocabulaire
Entre bibliothécaires, on a son propre vocabulaire. On parle de « banque » ou de « désherbage ».
En voici quelques exemples :
- Le récolement est l’inventaire des livres en rayon comparé à la liste d’achat. Comme le présente Marina Klymus de la Direction de la Documentation, dans un reportage à TF1, il arrive de faire des découvertes telles ces pavés datant de Mai 68…
- Le désherbage : si un ouvrage est devenu obsolète – tel un livre sur l’informatique – le bibliothécaire s’en sépare.
- Moissonner : les documents numérisés sont « moissonnés » par d’autres grandes bases patrimoniales comme BNF / Gallica.
- La banque est le guichet d’accueil ; être en banque signifie renseigner le public.
- L’« enfer » de certaines bibliothèques : « Il y avait parfois, dans une collection de bibliothèque, des livres dont on estimait ne pas vouloir les mettre entre toutes les mains. Pour des questions politiques, religieuses, morales, ils étaient sous clef », précise Marina Klymus.
Quand visiter la bibliothèque du campus Victoire
Un des meilleurs rendez-vous
- La nuit de la Lecture est un rendez-vous formidable pour découvrir les lieux car la programmation permet de découvrir les collections patrimoniales.
La thématique de la nuit de la Lecture 2024 évoquait « le corps ». Ainsi, grâce à leurs collections pluridisciplinaires, les bibliothécaires ont ressorti et/ou présenté des anciens ouvrages / objets d’enseignement de l’anatomie, l’ophtalmologie, la dermatologie, l’éducation sportive…
Quelques bénévoles de l’association « Les donneurs de voix » ont aussi lu des extraits d’ouvrages connus et plus récents, comme « Journal d’un corps » de Pennac ou « Le Lambeau » de Lançon.
- Les Journées du Patrimoine sont une autre occasion pour faire la visite car à cette occasion on ouvre le bureau du directeur ainsi que – peut-être – l’ancien monte-charge…
- La nuit des bibliothèques en octobre.
- « Les rencards du savoir, une programmation de cafés-débats gratuits et ouverts à tous pour susciter un dialogue entre les sciences et la société ». Lieux de rendez-vous : médiathèques et librairies de la métropole ; halle des Douves ; La Manuco, musées, campus…
Toutes les actualités sont à suivre sur le site des bibliothèques de l’Université de Bordeaux. L’année 2024 marque les dix ans de la fusion de Bordeaux I, II et IV. Pour fêter cet anniversaire, l’Université de Bordeaux proposera d’ailleurs une série d’évènements.
J’espère que ce reportage t’a plu. Et si tu pousses la porte de la bibliothèque, raconte-moi ta visite en commentaire.
© David Da Silva (hormis les trois photos sur lesquelles le crédit précisé est l’Université de Bordeaux).
Le parc bordelais en automne
Le parc bordelais est à découvrir en automne. En bonus, il existe tout un tas d’activités qui raviront petits et grands.
Balade à vélo dans Bordeaux : le quartier Saint-Augustin, Tauzin, Alphonse Dupeux
Du côté du quartier Saint-Augustin, Tauzin, Dupeux à Bordeaux, on découvre du patrimoine Art déco et du street art.
Une carte des mascarons de Bordeaux
Avec cette carte, découvre les mascarons de Bordeaux. Grotesques, surprenants ou inspirés des dieux, ils décorent les façades de la ville.
Bonjour Fleur,
quel bel article sur le Campus Victoire! Je suis en vacances scolaires mais je me suis replongée dans mes années universitaires à travers les lieux formidables que tu as su mettre en valeur.comme les amphithéâtres, les salles de bibliothèque…des univers très studieux où sont réunis moultes connaissances et savoirs, où chacun peut se cultiver, se nourrir intellectuellement. Les lieux sont imposants, solennels et prestigieux. On aurait presque envie de retourner sur les bancs de la faculté!
Merci pour ce partage et ton enthousiasme!
Belle journée!
Merci beaucoup Anabelle ! Oui, c’est vrai : se poser pour apprendre et s’imprégner de connaissances dans ces anciennes bibliothèques est tout à fait particulier.
Très intéressant cet article sur les universités, Fleur. Ayant été étudiante en pharmacie très peu de temps j’ai eu l’occasion d’aller ds cette bibliothèque et dans ce bâtiment. Mais j’y retournerais volontiers pour la visiter plus en detail. Des visites sont elles organisée en dehors des journées spéciales de patrimoine ou autre?
Bonjour Fabienne, je vous remercie pour votre commentaire, ça fait plaisir.
Hormis les évènements que je mentionne dans l’article, je n’ai pas connaissance d’éventuelles visites prévues. Cela peut être utile de se tenir au courant des actualités de la bibliothèque, qui parfois collabore avec des musées ou le Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine. C’est aussi pourquoi j’ai voulu fournir quelques infos historiques, afin de donner quelques clefs pour une visite libre de l’édifice. Je vous tiendrai aussi au courant, par le biais de ma newsletter, si je concocte moi-même une visite guidée des lieux.
Bonjour Fleur Un très grand bravo pour toutes ces incroyables découvertes que tu nous fais partager. A chaque fois je garde tes lettres pour un moment de lecture privilégié, sachant que tu vas me faire rêver sur des envies de balades, de visites, que je n’arriverai sans doute pas à faire car mon emploi du temps est trop chargé ! Mais au moins j’apprends déjà plein de choses… Si tu décides d’organiser toi-même des visites guidées surtout fais nous signe, j’essaierai de faire un groupe avec des adhérents de mon asso. Merci encore pour ta curiosité, ta passion et surtout… Lire la suite »
Bonjour Anne-Marie,
Merci pour ton petit, mot. Ça me touche ! Avec plaisir, je te tiendrai au courant.