Bordeaux : balade dans le quartier des Chartrons

Bordeaux, port de la lune
Les Chartrons
Quartier des Chartrons

Tu te souviens de mon article « Flâner dans les rues de Bordeaux : entre Saint-Michel et Sainte-Croix » ? Je te faisais découvrir un quartier sous forme d’anecdotes. Eh bien aujourd’hui, je te propose de poursuivre la série. Cap sur le quartier des Chartrons !

 

brève HISTOIRE DU QUARTIER des chartrons

Tout d’abord : L’ARRIVÉE DES CHARTREUX DE VAUCLAIRE

Au XIVe siècle, le monastère périgourdin des chartreux de Vauclaire est détruit par l’armée du roi Charles VI. Par conséquent, obligés de partir, les religieux s’établissent à l’extérieur de Bordeaux : dans le futur faubourg des Chartrons. Sur ces terres marécageuses, ils rejoignent, une poignée de paysans vivant de leur modeste bétail et de quelques vignes.

 

L’URBANISATION DES CHARTRONS

Fin XVIe siècle, le maire Matignon d’Ornano confie au flamand Conrad Gaussen les travaux d’assèchement des marais devenus malsains. Nombre de négociants anglais, irlandais, écossais, allemands, hanséates – comme les Kirwan, Barton, Schröder, Johnston, Schÿler – s’installent par vagues successives dans le quartier des Chartrons dans l’idée de participer au commerce du vin. Dès lors, le quartier s’urbanise, des maisons sur pignons longent la rade de la Garonne.

Le vin arrive par le fleuve en gabarres. Pour le stocker et le préparer pour la vente, les hommes d’affaires construisent des bâtiments avec des caves d’une longueur remarquable – parfois jusqu’à plusieurs centaines de mètres. Ces immeubles en lanière façonnent le quartier. Puis, les négociants embarquent sur des navires étrangers (bretons, anglais) pour vendre ce vin dans leur pays d’origine.

 

Réunification des Chartrons à la ville

Avec un chemin en bord de Garonne  boueux et sujet aux crues et la présence du château Trompette, le quartier des Chartrons est isolé du cœur de ville.

Puis, au XVIIIe siècle, Bordeaux aménage les terres à proximité du château Trompette. Ainsi « La Grande Allée », futur cours de Verdun, prend forme pour longer le nouveau jardin public. En 1768, des édifices voient le jour, mais, parce qu’il ne faut pas être dans le champ de tir de la forteresse Trompette, ils ne peuvent pas dépasser 13 mètres.

 

Le pavé des Chartrons

En 1746, le chemin bourbeux « de la Fausse Braye » menant aux Chartrons, est transformé en promenade. Il devient « le pavé des Chartrons », futur cours Xavier Arnozan. Enfin, la réunification – ainsi que des projets immobilières –  s’opère. Quelques négociants sollicitent les services de l’architecte Étienne Laclotte afin d’acquérir des parcelles le long du pavé. Elles deviendront leurs futures habitations et lieux de travail avec des bureaux et des chais à l’arrière.

 

Un COMMERCE : le VIN

Le privilège des vins de Bordeaux

C’est grâce au mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt (duc de Normandie et futur Henri II roi d’Angleterre) que le commerce des vins de Bordeaux prospère. Au XIIIe, la famille Plantagenêt attribue à la ville plusieurs avantages qui marqueront l’histoire de son commerce du vin :

Entre les vendanges et la Noël, seuls les vins issus du vignoble bordelais sont autorisés à être expédiés et commercialisés. Tout autre vin provenant du Haut-Pays, comme Bergerac ou Cahors, ne peut arriver à Bordeaux avant la Saint-Martin, soit le 11 novembre ou parfois après la Noël.

Ce privilège – appliqué jusqu’à la Révolution – marque le début d’un âge d’or des vins de Bordeaux.

 

le vin au Moyen Âge

Il est clair (clar / clairet)  avec peu de tanins. Il ne se conserve pas. Les invendus sont distillés la même année. Mais tout cela va changer…

introducing: the new French Claret

Au XVIIIe siècle, nait ce que les Anglais appelaient le « new French Claret ». Un vin élaboré différemment, avec plus d’attention. Notamment en introduisant de nouvelles techniques de vinification et d’élevage : la macération des peaux de raisins dans le jus ; l’ouillage ; le soutirage ;  le collage ; la mise en bouteille. Des procédés aujourd’hui essentiels et réglementés.

 

Quelques explication des nouvelles techniques de vinification

  • Ouillage = dans une barrique, une partie du vin, la part des anges, s’évapore, absorbée par le bois. L’ouillage consiste à rajouter régulièrement des petites quantités de vin (de qualité égale) pour combler cette perte et éviter l’oxydation.
  • Soutirage = transfert du vin d’une barrique à un autre contenant pour retirer les dépôts du liquide. On nettoie la barrique vide et on la mèche.
  • L’utilisation du soufre comme antiseptique est une technique qui a révolutionné la préparation du vin. Une mèche de soufre est allumée dans la barrique pour empêcher les bactéries de se développer et donc éviter une contamination. Ce procédé étend la durée de conservation du vin. Il nous vient des Hollandais qui avaient pour habitude de nettoyer les cales de leurs navires avec du soufre avant de les charger en marchandises.
  • Collage = un agent de collage, comme du blanc d’œuf, est utilisé pour agglomérer les particules qui se sont formées dans le liquide et ainsi clarifier le vin… Ainsi serait né le canelé !
  • Pierre Mitchell ouvre la première verrerie bordelaise fabriquant des bouteilles pour conditionner le vin. Pratiques à empiler et coucher le vin. Dès lors, il peut facilement vieillir. En 1866, on décide qu’une caisse contiendra 6 bouteilles de 75 cl de vin chacune. Cette quantité correspond au gallon impérial anglais (0.75 x 6 = 4.5 litres = 1 gallon).
  • Par le passé, des cépages rouges et blancs étaient mélangés dans un même vin. C’est le propriétaire de château Haut-Brion, Arnaud de Pontac, qui commence à faire des vins rouges issus uniquement de cépages rouges.

Avec ces techniques évoluent les mentalités ; la manière de faire et de déguster le vin.

 

 

QUELQUES RUES À ARPENTER dans le quartier des chartrons

Bains des Chartrons
Maisons hollandaises
Halle des Chartrons

place Picard

Place Picard, se trouve une réplique de la statue de la Liberté que le sculpteur Bartholdi avait offert à Bordeaux en 1888. Comme de nombreuses autres sculptures en bronze, les Allemands la déboulonnent en 1941. La statue, finalement jamais fondue, disparait pendant plusieurs décennies. Retrouvée 50 ans plus tard, on l’érige à Soulac-sur-Mer. Depuis 2000, une copie en résine trône sur la place Picard. En 2001, on installe une plaque rendant hommage aux défunts du World Trade Center.

place des Chartrons

Au cœur du quartier, se trouve la place des Chartrons. Au XIXe siècle, L’architecte Charles Burguet attribue à la place un édifice octogonal et métallique. Nommé halle des Chartrons, il abritera un marché. Burguet est d’ailleurs l’auteur des marchés des Grands-Hommes et de Lerme. La halle accueille aujourd’hui différents évènements culturels.

Église Saint-Louis des Chartrons

L’église Saint-Louis des Chartrons, fut terminée en 1874 après les travaux de l’architecte Pierre-Charles Brun. Ses flèches sont visibles depuis les quais et le coeur historique.

De style néogothique, la chaire, les confessionnaux et les boiseries de la sacristie proviennent de l’ancienne chapelle des Chartrons, la « chapelle des Carmes » qui, rongée par l’humidité, fut détruite et remplacée par la présente.

 

Anciens bains des Chartrons

Au 29 rue Notre-Dame, se dresse une façade mauresque et orientale. L’édifice abritait depuis le XIXe siècle (et jusqu’en 1923) 70 baignoires, « les grands bains des Chartrons ». Les carreaux en céramique proviennent de la faïencerie bordelaise fondée par David Johnston (plus tard reprise par Jules Vieillard).

temple des Chartrons

Plus loin dans la rue Notre-Dame, se trouve aussi un ancien temple protestant, construit en 1832 par l’architecte Armand Corcelles. Ce lieu appartient aujourd’hui à la ville.

Le cours Xavier Arnozan

Au 51, habitait François Seignouret, le créateur de l’armoire à glace. Dans la famille Seignouret, les tailleurs d’habits se succèdent. François, lui, a soif d’aventures et de voyages. Il embarque pour les États-Unis et fait fortune à la Nouvelle-Orléans en tant que tapissier décorateur. Il imagine des meubles au style français, mais utilise des matériaux locaux comme l’acajou, adapté au climat local, chaud et humide. Sièges, commodes et armoires à glace connaissent un franc succès. Lorsqu’on parle de ces meubles, on évoque « les Seignouret ».

À proximité, se trouve le jardin public. En 1857, un magnolia géant provenant du jardin des plantes de la Chartreuse est replanté dans ce parc.  Pour transporter l’arbre, il faut une voie ferrée de 2 km ainsi qu’un chariot sur mesure. Durant 4 jours, 35 chevaux, parés de rubans et de fleurs, tirent le chargement en direction du parc.

L’entrepôt réel des denrées coloniales – entrepôt Lainé

Cet ancien entrepôt des denrées coloniales, aujourd’hui le CAPC est édifié entre 1822-1824 par l’ingénieur Claude Deschamps (qui réalisa aussi le pont de pierre). Fait de briques, de pierres et de bois, il stockait jusqu’à 15 000 tonnes de denrées. On y trouvait toute une variété de produits : du sucre, du café de la Martinique, du cacao de Guyane, de l’indigo du Bengale, de la vanille, des épices comme de la cannelle, de la laine, du coton, du lin… Tout comme de quoi approvisionner les navires pour leurs voyages :  du rhum, du vin, des céréales, de la morue…

Le site de l’entrepôt Lainé a aussi durant un temps matérialisé un coin de nature… Lorsque l’ordre des Carmes s’y installe en 1626, ils construisent leur couvent, creusent des fossés, assèchent les marais… Le surplus de terre est utilisé pour créer des jardins et même une île avec des arbres fruitiers. Ici, les moines méditaient sereinement. Tout cela fut détruit lorsqu’on agrandit le château Trompette à partir de 1665. En 1984, l’entrepôt devient un musée d’art moderne, le CAPC.

 

L’hôtel Fenwick

Au 1 quai des Chartrons, à l’angle du cours Xavier Arnozan, se trouve une des plus belles façades de Bordeaux : l’hôtel Fenwick. Fin XVIIIe siècle, Joseph Fenwick, négociant américain du Maryland, est nommé, par le président George Washington, consul des États-Unis. Il sollicite alors l’architecte Jean-Baptiste Dufart, élève de Victor Louis, pour édifier le futur siège du premier consulat américain en France. Pas moins de 50 ouvriers travaillent sans relâche l’hiver 1795. La porte en serlienne est ornée de deux proues de navire.

La bourse maritime

La Bourse maritime date du 15 juin 1925. Elle est née suite à une volonté de réorganiser les chambres de commerce du port de la ville. La façade est faite d’un habillage de pierres posées sur une structure en béton. Le fronton est une reproduction d’un des frontons de la Chambre de commerce  située place de la Bourse : un vieillard, sur un nuage avec une faux et un sablier, regarde une femme nue. Aujourd’hui, la bourse maritime abrite des bureaux.

 

Les maisons hollandaises

Voici, au 28-29 quai des Chartrons, les « maisons hollandaises ». Elles n’ont pas été bâties par des Hollandais, mais par Hilaire Renu, un bourgeois bordelais, qui achète entre 1679 et 1680 des parcelles et ouvre les rues Latour et du Couvent. Des têtes de lions ornent les pignons.

Bibliographie

• Histoire de Bordeaux, Madeleine Lassère, 2017

• Les rues de Bordeaux des origines à nos jours, Roger Galy 2014

• 10 siècles de vie quotidienne à Bordeaux, Albert Rèche 1983

• Bordeaux secret et insolite, Philippe Prevot 2005

• Bordeaux, petits secrets et grandes histoires, Philippe Prevot, 2012

Archives Sud-Ouest

• Bordeaux à travers la carte postale ancienne, Jean Louis Rosenberg et Maryse Laclabère, 2017

Musée du CAPC

Musée d’Aquitaine

 

Crédit photos David Da Silva

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