Comment les recherches de l’inrae ont influencé la conduite du vignoble au château Couhins
J’ai choisi de t’en parler car, à mes yeux, il est intéressant de le découvrir, d’une part pour son histoire, d’autre part car, depuis 1968, le château est la propriété de l’Institut National de la Recherche Agronomique (l’INRA – devenue INRAE en 2020 – plus de précisions plus loin)
Si tu t’intéresses au vin et à la viticulture, tu peux discuter, en visitant la propriété, des différentes innovations développées par l’INRA et, bien sûr, des pratiques viticoles pensées par Couhins.
Voici, tout d’abord, un peu d’histoire…
comment est né château couhins
Château Couhins est né de l’alliance de deux exploitations viticoles voisines : le domaine de la Gravette et le domaine du Pont de Langon ; respectivement situées à Villenave d’Ornon et Cadaujac.
brève histoire du domaine de la gravette
• Entre les 17e et 18e siècles, le domaine de la Gravette, à l’origine un bourdieu (une bâtisse viti-vinicole), est la propriété de la famille Blanchereau. 4 générations se succèdent pour développer le domaine et élaborer un vin de qualité.
• Au fil des années, au gré de différents propriétaires, le domaine continue de s’agrandir jusqu’à l’arrivée, en 1855, des Hanappier, une famille de négociants installée au pavé des Chartrons à Bordeaux. Peut-être as-tu entendu parler de la liqueur Hanappier ? Cette famille s’implique dans la gestion de l’exploitation sous toutes ses facettes : le développement et l’unification du vignoble, l’élaboration de vins rouges, la commercialisation de vins…
• En 1883 : les Hanappier décide de nommer l’exploitation « château Couhins », provenant du « village Couens » situé à Villenave d’Ornon.
• La propriété se lègue ensuite au sein de la famille, de générations en générations. En 1933, Éliane Hanappier et son époux Édouard Capbern-Gasqueton (propriétaire du domaine du Pont de Langon) se chargent de la gestion du château.
• En 1959 : l’Institut National de l’Origine et de la Qualité, l’INAO classe les vins blancs de Couhins « Crus Classés de Graves ».
• Le château reste la propriété de la famille Hanappier / Capbern-Gasqueton jusqu’en 1968 où il est alors acquis par l’Institut National de la Recherche Agronomique, l’INRA.
brève histoire du domaine du pont de langon
• Le domaine du Pont de Langon est connu des cadastres dès le 13e siècle, non comme bourdieu mais comme maison noble. Hormis les installations techniques, le domaine comprend un château, des pavillons, des vignes, des prairies, des bois…
• Au 17e siècle, la famille militaire Bourran est propriétaire du domaine. Catherine de Lamezas, épouse de Joseph de Bourran, se consacre entièrement à sa gestion. Mais à sa mort, le domaine est abandonné.
• Jusqu’à la fin du 19e siècle, différents propriétaires tels que Jean Pierre Lafite Dupont, les négociants Dupuch, les Duprat et les Modesto del Valle se chargent de lui redonner vie et de le développer.
• Début 20e, la propriété viticole, aux mains des Brunet, souffre du peu de rendement des vignes et de la perte de parcelles. Petit à petit, les terres sont délaissées.
• En 1945 : le domaine est vendu à Édouard Capbern-Gasqueton. Il relance, avec les Hanappier, la culture des terres et des parcelles de vignes. Les deux propriétés, maintenant unifiées et connues sous le nom de Château Couhins, totalisent près de 69 hectares de terres.
le château couhins passe aux mains de l’inra
Le décès d’Édouard Capbern-Gasqueton, en 1962, marque le début des années noires du château. Les terres sont à nouveau abandonnées. Les 4 parcelles de vignes restantes sont louées au viticulteur André Lurton qui les vinifie.
En 1968, les Hanappier choisissent de se séparer du château. L’INRA saisit l’opportunité de se porter acquéreur de ces anciennes terres à fort potentiel. Ainsi l’institut, après avoir restructuré le vignoble, peut mettre en application des expérimentations viticoles sur un terroir de qualité.
Quelques années plus tard, André Lurton acquiert 1.5 hectares des vignes qu’il cultivait et donne naissance au château Couhins-Lurton. Les châteaux Couhins et Couhins Lurton sont 2 propriétés distinctes.
quelques mots sur l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement ou l’inrae
L’INRAE est née le 1er janvier 2020 de la fusion entre l’INRA et l’Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture (l’IRSTEA).
L’INRAE développe des études scientifiques et technologiques innovantes autour des secteurs agricoles, alimentaires et environnementaux. Découvre plus d’infos sur leur site internet.
L’inrae bordeaux-aquitaine
L’INRAE Bordeaux-Aquitaine base ses travaux autour des sciences végétales, écologiques et environnementales dans les secteurs agricoles, sylvicoles et aquacoles. Ce lien te dirige vers leur site internet.
L’inrae bordeaux-aquitaine et la vigne / le vin
Avec pour objectif d’élaborer, dans le respect de l’environnement, une culture durable et un vin de qualité, l’INRAE Bordeaux-Aquitaine centre ses recherches et expérimentations – entre autres – sur la biologie de la vigne ; ses interactions avec les porte-greffes, les ressources absorbées, les maladies et les nuisibles…
L’INRAE possède plusieurs sites dans le bordelais :
• Château Couhins à Villenave d’Ornon
• La Grande Ferrade à Villenave d’Ornon qui, avec son conservatoire de cépages bordelais tels les sauvignons, cabernets et sémillons sauvegarde la biodiversité végétale.
L’INRAE collabore étroitement avec de nombreux partenaires académiques comme l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (l’ISVV), l’Université de Bordeaux, Bordeaux Science Agro…
exemples de recherches menées à l’inrae aujourd’hui
• Comment la vigne absorbe et redistribue ses ressources comme l’eau, les minéraux (azote, fer), le carbone ?
• Quel est l’impact de la conduite de la vigne sur la qualité de la récolte ?
• Comment les porte-greffes et les cépages interagissent-ils ?
• Comment protéger la vigne des nuisibles et des maladies tout en minimisant l’usage de produits chimiques ?
château couhins aujourd’hui
« Aujourd’hui le château est la vitrine de l’INRAE, un lieu de production d’un Grand Cru Classé de Graves et un lieu de démonstration des dernières innovations issues de la recherche”.
La propriété comprend 35 hectares de vignes toutes plantées autour de la propriété.
Les 2/3 du vignoble sont dédiés aux rouges (merlot, cabernets et petit verdot). Le tiers restant regroupe les blancs « crus classés de Graves » (sauvignon blanc et gris). La particularité de Couhins est de produire des rouges dont l’assemblage est à dominance de merlot.
Le rendement varie d’année en année. Couhins peut produire en moyenne 150 000 bouteilles par an. Ce lien te donnera plus d’informations sur les vins du château.
Sa proximité avec l’agglomération et la présence du ruisseau « l’eau Blanche » engendrent, dans ce vignoble, une précocité du terroir liée à une température plus élevée que dans les autres propriétés de l’appellation. Ainsi Couhins est le premier à lancer les vendanges.
une conversion en bio et une viticulture réfléchie
L’un des axes de recherches de l’INRAE est le développement d’une culture sans recours aux produits chimiques. Ainsi, depuis 1999, château Couhins n’utilise ni herbicides ni insecticides.
Au fil des années, l’exploitation a opté pour une viticulture qualitative respectant l’environnement. Avant d’appliquer tout traitement, Couhins privilégie la réflexion et l’observation du vignoble, parcelle par parcelle, pied par pied.
Dans le but d’incorporer l’impact écologique dans sa gestion globale du domaine, Couhins rejoint, en 2011, le premier groupe de propriétés s’impliquant dans le « Système de Management Environnemental » (SME). Elle obtient cette même année la certification ISO 140001, puis, en 2017, la certification Haute Valeur Environnementale (HVE 3).
Par exemple, les bâtiments, en bois et consommant peu d’énergie, sont construits en suivant les normes « Très Haute Qualité Environnementale » (THQE).
Ailleurs, une station d’épuration récupère les eaux usées des chais, des refuges à chauves-souris sont installés car elles se nourrissent d’insectes nuisibles à la vigne…
3 grandes familles de sol
La croupe de graves, que l’on retrouve aussi dans le Médoc, est, du haut de ses 41 mètres, une des plus hautes de l’appellation et constitue 2/3 du vignoble. Ce sol est propice aux cabernets sauvignons car sa carence en eau et ses galets, restituant la nuit la chaleur emmagasinée le jour, favorisent la maturation des raisins.
Les terres argilo-calcaires, quant à elles, retiennent l’eau et favorisent la maturation des sauvignons blancs, sensibles à la sécheresse. Le merlot s’épanouie également sur ce terroir.
Enfin, le sol sablo graveleux résulte de l’érosion de la croupe de graves. Sa sous-couche de graves et d’argile répond parfaitement aux besoins des cabernets et petits verdots réputés pour leur maturation tardive.
Chaque sol nécessite des besoins particuliers et requiert des analyses et traitements réguliers pour pallier les carences et les pertes de minéraux que la vigne a consommés.
la conduite du vignoble au château couhins
Une viticulture sur mesure, pied par pied grâce au GreenSeeker
La production d’un raisin parfaitement mûr nécessite un équilibre entre la croissance des feuilles et des raisins sur le pied de vigne. Il faut alors pratiquer une viticulture tenant compte de cette gestion de la surface foliaire.
Le GreenSeeker, imaginé en 2007 par l’INRA, est un système permettant de déterminer et cartographier l’intensité végétative de chaque pied de vigne.
Un capteur infrarouge « scanne » les feuilles d’un pied de vigne pour calculer son taux de chlorophylle. Celui-ci indique l’échelle de vigueur du pied, soit son intensité végétative.
La balise GPS permet de cartographier les pieds pour ensuite imager la santé des parcelles et ainsi évaluer leur homogénéité. Ainsi, selon l’état du pied de vigne, les pratiques viticoles sont personnalisées : la charge de la taille, la fertilisation organique des sols, l’adoption d’un porte-greffe plus vigoureux…
Ce système permet de développer une viticulture de précision et, à terme, de récolter des raisins à maturité lors des vendanges.
la confusion sexuelle
Un système imaginé par l’INRA en 1974 pour lutter – sans avoir recours à l’utilisation d’insecticides – contre l’eudémis, une espèce de papillon dont la chenille s’attaque aux raisins pour y pondre ses œufs. Un « bâtonnet », éloigné du pied de vigne et accroché au palissage, déploie des phéromones identiques à celles du papillon femelle pour attirer les mâles et ainsi protéger les grappes de raisins.
les porte-greffes
Dans le but de planter des pieds de vigne adaptés aux sols où, par exemple, la culture est difficile, l’INRA créa, dans les années 60, de nouveaux porte-greffes hybrides nés de variétés de vignes européennes et américaines. Ils sont aujourd’hui commercialisés pour d’autres vignobles.
• Le Fercal est adapté aux sols calcaires générant une carence en fer pour la vigne qui ensuite ne s’épanouie pas correctement ou souffre de chlorose – un manque de chlorophylle, soit un déficit de photosynthèse.
• Le Gravesac, conçu notamment pour les sols acides, tel le sable, faible en vie microbiologique et en minéraux, importants pour la croissance de la vigne.
Puis, le type de porte-greffe est sélectionné selon le type de sol.
la fertilisation du sol pour le décompacter et l’enrichir en minéraux
Après les vendanges, la vigne a consommé ses minéraux pour apporter le raisin à maturation. Des céréales et légumineuses sont alors plantées entre les rangs de vignes. Ils apportent au sol de nombreux bénéfices. Cette pratique décompacte et fertilise le sol en le minéralisant, entre autres, d’azote, utile à la plante pour apporter les raisins à maturation ou de fer pour stimuler la photosynthèse. Les céréales, qui se dégradent rapidement, attirent une vie microbienne.
Chaque année, des tests sont effectués pour évaluer l’état du sol. Parmi eux, celui dit « du slip en coton » ! On enterre un tissu biologique (ex : coton) dans le sol. Après 3 mois, on le déterre et on observe son état de dégradation. Un sol foisonnant de micro-organismes aura « consommé » le tissu dans sa quasi-totalité dans ce laps de temps.
la protection et le développement de la biodiversité dans le vignoble
Couhins s’efforce de développer la biodiversité dans son vignoble en créant un corridor écologique entre la forêt et le domaine pour attirer les animaux. Une haie de 500 mètres sera aussi plantée en 2020 autour de la propriété. Des nichoirs à chauve-souris ont été installés…
la musicothérapie
Tout comme château Nodot (un de mes coups de cœur dont je te parlais ici), Couhins pratique la musicothérapie pour lutter contre les maladies du bois telle l’esca à laquelle le sauvignon blanc est particulièrement sensible.
Installé depuis 2020, un émetteur diffuse, à 7h et à 20h, dans les parcelles de sauvignon blanc des ondes musicales. Ces ondes acoustiques favorisent la synthèse de protéines – ou protéodies – qui stimulent les défenses naturelles de la vigne qui, en retour, ralentissent le développement de la maladie.
L’INRAE et Couhins poursuivent également des recherches sur les maladies du bois en plaçant des capteurs dans les porte-greffes ou en observation la corrélation entre la maladie du bois et le type de taille pratiquée sur le pied.
Crédit photos David Da Silva
les vendanges
Lors des vendanges, Couhins fait plusieurs passages dans une même parcelle afin de récolter, manuellement, les raisins à parfaite maturité.
Puis, au chai, les raisins sont à nouveau triés sur une table vibrante et à l’aide d’un tri-baie qui séparera les baies selon leurs densités en sucre.
2020 est une année précoce car avec les températures élevées du début d’année, la vigne est sortie de sa dormance et a débuté, dès février, son cycle végétatif – qui normalement commence plutôt en mars. La récolte des blancs est donc prévue le 19 août au lieu de début septembre.
Pour en savoir plus sur le cycle végétatif de la vigne, lis cet article où, en compagnie d’Éric Vareille, vigneron à Fronsac, je t’en explique toutes les étapes.
Curieux sur les vendanges ? Découvre ici la fête des vendanges au château de Lisennes. Je te détaille tout le processus et te recommande vivemet de participer à cette fête très conviviale.
Et voici comment l’INRA a pu profiter d’un terroir de qualité pour expérimenter ses recherches en viticulture et surtout, comment Couhins développe depuis des années une viticulture sur mesure, biologique et réfléchie.
infos pratiques
Contacte Léa pour organiser une visite de la propriété. Si tu as des questions techniques particulières, parle-lui en, château Couhins est ravi de partager ses pratiques et innovations avec ses visiteurs.
Dans la tour de viticulture de la propriété, tu pourras voir des coupes de différents types de sol ainsi que des cartographies GreenSeeker.
A noter que le bâtiment peut accueillir les personnes à mobilité réduite.
Château Couhins
Chemin de la Gravette
B.P. 81 – 33883 Villenave d’Ornon Cedex
Tel : 05 56 30 77 61 Fax : 05 56 30 70 49
Visite de la propriété + dégustation de 4 vins dont le premier cru classé : 12 € par personne – durée : environ 1 heure.
OU
Simple dégustation des 4 vins dont le premier cru classé : 8 € par personne – durée environ 30 minutes
Du lundi au vendredi entre 9h00-12h00 et 14h00-18h00. Visites le samedi possible selon le calendrier
Si tu veux combiner une visite de Couhins et une balade à vélo autour de l’appellation Pessac-Léognan, découvre cette balade entre routes de campagne, vignes et propriétés viticoles.
Et maintenant, qu’as-tu pensé de l’article ?
J’espère que tu as appris des choses sur le vin et la viticulture ! Pour en savoir encore un peu plus, lis mes articles sur la taille ou les vins naturels.
Le parc bordelais en automne
Le parc bordelais est à découvrir en automne. En bonus, il existe tout un tas d’activités qui raviront petits et grands.
Balade à vélo dans Bordeaux : le quartier Saint-Augustin, Tauzin, Alphonse Dupeux
Du côté du quartier Saint-Augustin, Tauzin, Dupeux à Bordeaux, on découvre du patrimoine Art déco et du street art.
Une carte des mascarons de Bordeaux
Avec cette carte, découvre les mascarons de Bordeaux. Grotesques, surprenants ou inspirés des dieux, ils décorent les façades de la ville.
Balade à Latresne : les circuits de la commune
Pars en vadrouille explorer Latresne et son patrimoine grâce aux circuits pédestres de la commune, située aux portes de Bordeaux.
Flâner dans les rues de Bordeaux : balade à vélo dans le quartier La Bastide
Flâne à vélo dans les rues du quartier Bordeaux Bastide pour découvrir le patrimoine historique, le street art et toutes les pépites locales.
Que visiter à Blaye en une journée ?
Que faire à Blaye en une journée ? Explore le territoire avec la randonnée « Boucle des vignobles et de la Citadelle ».
L’observatoire astronomique de Bordeaux
Avec l’association Sirius, visite l’observatoire astronomique de Bordeaux Floirac et découvre l’histoire d’un site unique dans la métropole.
Street art Bordeaux : Trakt, du graffiti à l’expression libre
Le graffeur Trakt vient tout droit de la scène graffiti bordelaise. Aujourd’hui, son travail reflète une volonté de créer librement…
La Visite Nature du château de La Dauphine
En quête de nature et d’œnotourisme à Bordeaux ? Le château de La Dauphine, à Fronsac, a justement créé une visite sur cette thématique.
Article très intéressant !
c’est très bien résumé et ça donne un aperçu d’un savant mélange entre préservation l’environnement par la science et développement d’une agriculture de qualité économiquement viable.
Merci, ravie de lire qu’il vous plaît !
Super article Fleur!
Très agréable à lire dans un hamac, on s’instruit même en vacances 😉
Très intéressant le mariage de la science et de l’agriculture. Je suis un peu sceptique sur la musicothérapie pour la vigne…c’est démontré scientifiquement?
Paperino est un être rationnel…
Bonnes vacances et bravo au slow-photographe qui agrémente tes articles 🙂
Merci Paperino, ça fait plaisir !! Oui certaines propriétés viticoles ont eu des résultats prometteurs mais cela prend du temps à observer. Peut-être que l’INRAE pourra nous en dire plus aussi dans quelques années.
Merci Paperino !
Content de savoir que tu as apprécié le contenu et les photos de cet article.
Comme toi, j’ai apprécié l’apport de la science au service de la viticulture, dans le respect de l’environnement.